Le heros selon Clint Eastwood
Beaucoup de films du cinéaste américain, notamment ceux qu’il a présentés après Gran Torino, partagent une thématique commune : celle du héros qui sauve en transgressant, à ses risques et périls, les règles auxquelles les autres se conforment parce que c’est moins risqué ou plus confortable. L’individu d’exception prend alors une décision qui peut être contraire à son intérêt personnel mais en accord avec un ordre supérieur, voire transcendant. Quand soudain et contre toute attente Earl Stone, le personnage de La Mule, déclare qu’il plaide coupable alors que le jury semblait avoir été convaincu par son avocate, il restaure instantanément dans ce monde la justice et la vérité, autrement dit une idée qu’il avait auparavant tranquillement violée en travaillant pour la Mafia de la drogue. Les termes que j’ai soulignés sont des concepts éthiques. La « décision » doit être entendue au sens de Carl Schmitt, « l’idée » au sens d’Alain Badiou.
Considérons un autre exemple, celui de Sully (Sullenberger). Son statut de héros ne lui vient pas de son habileté qui lui fait sauver ses passagers et son équipage. Elle tient à sa « décision » d’amerrir, avec ses deux réacteurs en panne, sur le fleuve Hudson. En apparence elle est casse-coup et de toute façon contraire aux procédures établies qui lui imposent de rejoindre l’aérodrome le plus proche, ce qui entache son honneur et entraîne une enquête pouvant déboucher sur un procès. Dans ce cas particulier ce n’est pas à l’accusation de prouver qu’il a eu tort mais à lui de prouver qu’il a eu raison. Ce qu’il fait.
Dans American Sniper, le héros doit « décider » de tuer, par exemple un enfant, sur la base d’informations insuffisantes, au risque, s’il s’y refuse, de périr lui et ses camarades. C’est l’événement qui, après coup, le justifiera ou le condamnera. Telle est la condition du franc tireur qu’il assume car il en faut face à des terroristes qu’aucun scrupule ne retient. Vers la fin du film il rencontre un des soldats dont il avait sauvé la vie et qui, prenant congé, lui fait le salut militaire, alors que le Sniper n’est pas son supérieur hiérarchique, le désignant ainsi comme héros hors hiérarchie. En cela il est semblable au singe du Pélérinage à l’Ouest qui n’a pas de place dans l’organigramme céleste, si je peux me permettre cette comparaison.