Badiou et la folie du nouveau
Dans Du Sublime, l’auteur anonyme qui vivait au Ier siècle de notre ère, début de la décadence du monde antique, écrivait ceci : « Tous ces défauts si malséants proviennent d’une cause unique : la recherche du nouveau, cette folie des hommes d’aujourd’hui ». De cette folie qui frappe encore une fois deux mille ans plus tard, Alain Badiou s’est fait l’apologiste et le théoricien. En art, le nouveau apparaîtrait quand « ce qui n’avait nulle valeur formelle [est] transfiguré par un déplacement imprévisible de la frontière entre ce qu’on reconnaît comme forme […] et ce qui gît dans l’informe » (Second manifeste pour la philosophie pp 97-98). Rien de tel n’est observable au cours de l’histoire multimillénaire de l’art, seulement des changements de goût ou des progrès dans la mimesis. Le passage de Cimabue à Giotto est-il un déplacement de la frontière entre la forme et l’informe ? Ou encore la mutation que représente le style pictural (malerisch) par rapport au style linéaire (zeichnerisch) pour employer les concepts de Wölfflin ? En revanche, la description de Badiou s’applique parfaitement à l’apparition au début du XXe siècle du « modernisme » et au triomphe vers 1960 du non-art pur et simple qui en est le légitime héritier. Mais justement ce ne sont pas des vérités. Si c’était le cas, elles permettraient d’éclairer toute l’histoire de l’art au lieu de la tenir pour nulle et non avenue du fait qu’elle ignore ce type de changement désastreux. L’erreur de Badiou vient de son identification du vrai (du valable) au nouveau et inversement, que j’ai réfuté dans ma précédente note.