Kafka et Orwell à l’époque de l’art contemporain
Qualifier le non-art contemporain de « n’importe quoi » revient à proférer à la fois un lieu commun et un énoncé trop déviant pour être audible à quiconque n’est pas un intellectuel marginal. Ce n’est pas une raison pour ne pas marteler ce poncif provocateur encore et encore avec le courage de Guillaume le taciturne dont la maxime était : « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer ». Face à la quiétude conformiste ou au cynisme routinier des bureaucrates dans le style de Jacques Aillagon (directeur de Versailles), soyons aussi obstinés que l’arpenteur d’un autre château, celui de Kafka.
Je précise que « n’importe quoi » n’est pas une injure ou une expression dépréciative mais une définition, à prendre au pied de la lettre. Pourrait-on citer un objet, une matière, un dispositif, un geste, une attitude qui ne puisse figurer dans une exposition du prétendu « art contemporain » ? On le peut, répondront les plus malins ; ce serait un tableau ou une sculpture au sens habituel de ces mots. Autrement dit, l’art contemporain n’exclut rien sauf l’art, pour la raison, nous dit-on, que celui-ci, sortirait-il à peine de l’atelier, ne serait pas « contemporain ». Pour mériter ce prédicat, il ne faut avoir rien de commun avec l’art, comme la pyramide de Boltanski. Conclusion : l’art, c’est le non-art et inversement. Voilà une maxime digne de 1984 que les détenteurs du pouvoir appliquent avec une rigueur implacable.
Ce qui est significatif et vend pour ainsi dire la mèche, ce ne sont pas les choix de tel ou tel fonctionnaire mais leur unanimité dans le soutien au non-art. Cette unanimité prouve le caractère oligarchique et totalitaire de notre régime, très bien masqué par ailleurs.