Les qualités esthétiques sont objectives
,La vie posthume de certains grands artistes a connu de longues éclipses. J.-S. Bach fut oublié jusqu’à ce que Mendelssohn l’exhume; Vermeer, dont les tableaux ont toujours eu la cote en vente publique, n’est entré dans l’histoire qu’au XIXe sècle grâce au critique Thoré-Burger; au XXe siècle les toiles de Guido Reni ont longtemps été reléguées dans les réserves du Louvre avant de retrouver les honneurs des cimaises par la volonté d’un nouveau directeur, Rosenberg. On aurait tort, cependant, de conclure de cette existence intermittente que les qualités esthétiques qui font la valeur des oeuvres d’art ne leur sont pas intrinsèques. Ce qui est objectif n’est pas toujours perçu par les spectateurs. S’il arrive qu’à une période ces qualités semblent s’estomper pour s’intensifier à la suivante comme ce fut le cas pour les peintres pompiers cela tient aux fluctuations de la mode et aux changements dans la sensibilité du public induits par les transformations de la société. C’est que les propriétés esthétiques d’une oeuvre ne sont pas les seules à déterminer le jugement la concernant, quoiqu’elles finissent par l’emporter. Les préjugés idéologiques y sont pour beaucoup. Cependant sur le long terme un consensus prend forme qui ne peut s’expliquer si l’on ne le rapporte à des traits objectifs. En voici la preuve. On peut évaluer à environ 25.000 les peintres ayant exposé régulièrement dans les Salons des pays européens au XIXe siècle. Consultons l’index des histoires de l’art publiées depuis une centaine d’années par des auteurs dont les préférences artistiques étaient sûrement fort dissemblables. Pourtant une cinquantaine de noms sont présents dans tous les livres. D’autres figurent dans les uns et pas dans les autres. En revanche 98% des peintres sont ignorés par tous les ouvrages de synthèse. Certains incluent Charles Tournemine, d’autres pas. Mais si la question se pose pour cet artiste, elle ne se pose pas pour Eugène Pavy ou Hortense Richard qui pourtant ont eu leur instant de gloire. La seule explication est que les auteurs partagent les mêmes critères d ‘exclusion et que certaines caractéristiques inclinant à écarter une oeuvre ne dépendent pas du seul goût idiosyncrasique variable selon les individus. Sans un tel concensus fondé sur des critères objectifs l’histoire de l’art n’aurait pas été possible car elle suppose qu’on distingue ce qui mérite d’être retenu.